Le marketing et la publicité qui ciblent les enfants pour les produits trop sucrés, trop gras ou trop salés posent un réel problème de santé publique, mais le gouvernement se contente en ce domaine des promesses des industriels, déplore, dans une tribune au « Monde, un collectif de scientifiques et de responsables associatifs.
Être le pays de la gastronomie ne protège pas la France de l’épidémie mondiale d’obésité. Sourd aux appels répétés d’encadrer le marketing de la malbouffe qui cible les enfants, le gouvernement s’est contenté ces dernières années de faire confiance aux promesses des industriels de limiter l’exposition des plus jeunes aux produits trop gras, trop sucrés, trop salés. Grave erreur.
Aujourd’hui en France, la situation n’est plus tenable : 17 % des enfants et adolescents sont en surpoids ou en situation d’obésité et 50 à 70 % d’entre eux le resteront à l’âge adulte. Or, on le sait, surpoids et obésité augmentent les risques de maladies cardio-vasculaires, de diabète de type 2, de syndrome du foie gras et même les risques de cancer. Un enfant sur six est un futur malade, c’est presque écrit.
Alors que faire ? Il faut mettre fin au matraquage publicitaire des industriels de la malbouffe sur nos enfants. Les experts - Santé publique France, Inserm, Haut conseil de la santé publique, Cour des comptes, et même Unicef - sont unanimes : au-delà des campagnes de sensibilisation et messages du type « manger, bouger », il est indispensable d’attaquer le mal à la racine pour protéger les plus jeunes de cette surexposition actuelle, en encadrant le marketing et la publicité qui ciblent les enfants pour les produits trop sucrés, trop gras ou trop salés.
Cette proposition n’est pas nouvelle mais a été trop longtemps mise sous le tapis. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) alerte depuis une dizaine d’années : « L’obésité infantile et le marketing des produits peu sains font partie des sujets de préoccupation majeurs, le marketing digital pour ces produits est un nouveau défi de santé publique contre lequel il faut lutter d’urgence ».
En France, à contre-courant de ces recommandations claires, le gouvernement – comme les précédents – a refusé à au moins cinq reprises d’agir ces dernières années alors que cet encadrement était possible dans la loi EGAlim (2018), dans plusieurs propositions parlementaires sur l’alimentation industrielle ou la malbouffe, dans la Réforme de l’audiovisuel publique (2020), dans la loi Climat et résilience (2021) et récemment dans la loi encadrant les dérives des influenceurs (2023). Pendant que nos dirigeants s’en remettent aux engagements volontaires des industriels qui ne répondent absolument pas à l’urgence de santé publique, et malgré les nombreuses alertes et propositions formulées par les associations de consommateurs, nos enfants grandissent dans un environnement obésogène. Et leurs parents ne peuvent en aucun cas tout contrôler et porter seuls la responsabilité face à la multiplication des canaux médiatiques et à l’explosion des réseaux sociaux. La pression marketing s’est considérablement accrue avec l’apparition de techniques d’influence non conscientes de mieux en mieux affûtées.
Alors que le temps passé par les plus jeunes devant leurs écrans augmente d’année en année, les marques alimentaires usent de nombreux stratagèmes pour vendre de la malbouffe : placement de produits dans des jeux vidéo, concours sur TikTok, recours à des influenceuses et influenceurs, création d’applications, jeux-concours, partenariats, sponsoring, personnages de dessins animés sur les emballages, etc.
Or les jeunes n’ont pas la maturité cognitive pour contrer ces messages, bien rôdés et sournois ; difficile pour eux de résister à ce matraquage qui les mène inéluctablement à de mauvaises habitudes alimentaires.
Pour les industriels, un consommateur acquis au plus jeune âge n’a pas de prix. Faire confiance aux fabricants pour s’autoréguler est une folie. La preuve : selon la dernière enquête de l’ONG Foodwatch, 86 % des 228 produits analysés ciblant les enfants contiennent trop de sucre, de gras et/ou de sel selon les critères de l’OMS.
Ces produits sont pourtant commercialisés pour les enfants par des marques ayant signé la charte EU Pledge dans laquelle elles s’engagent à limiter l’exposition des enfants au marketing alimentaire. D’après Santé Publique France, la majorité des publicités alimentaires visionnées par les enfants sont pour des produits ayant un Nutri-Score D ou E.
Le coût économique du laisser-faire est lui aussi considérable. L’impact sociétal de la surcharge pondérale était estimé par le Trésor public en 2012 à plus de 20 milliards d’euros par an. Il a certainement enflé depuis lors.
Depuis 2010, l’OMS Europe appelle les gouvernements à légiférer pour limiter l’exposition des plus jeunes au marketing et à la publicité alimentaires. La Norvège (2023) et le Royaume-Uni (2018) ont adopté une réglementation qui répond à cette urgence de santé publique. L’Allemagne, l’Espagne et la Finlande travaillent également à une législation en ce sens.
La France est à la traîne. En cette rentrée 2023, le gouvernement et les parlementaires doivent se ressaisir et enfin clairement interdire le marketing et la publicité de la malbouffe qui ciblent les enfants.
Premiers signataires : Guylaine Brohan, présidente, Familles Rurales ; Didier Courbet, professeur des universités et chercheur à l’IMSIC (Aix-Marseille) ; Grégoire Ensel, président, Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) ; Raymond Gérard, président, France Assos Santé ; Serge Hercberg, professeur émérite de nutrition, Université Sorbonne Paris Nord, équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (EREN) ; Karine Jacquemart, directrice générale, Foodwatch France ; Anne-Sophie Joly, présidente, collectif national des associations d’obèses ; Daniel Nizri, président, Ligue contre le cancer ; Marie-Amandine Stévenin, présidente, UFC-Que Choisir ; Mathilde Touvier, directrice de l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (EREN-CRESS), Inserm.
La liste complète des signataires est accessible sur ce lien